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Le chrysanthème: Une fleur entre deux mondes

Même s’il est souvent laissé au second plan derrière le cerisier, le chrysanthème reste néanmoins le grand ambassadeur qui représente la nation. En faisant belle figure sur le passeport nippon, c’est bel et bien avec cette fleur que les Japonais se présentent durant leurs voyages à l’étranger. En ce qui s’agît du pays même, le touriste lambda sera probablement focalisé dans une chasse aux cerisiers que ce soit en vrai, ou sous forme artistique. Et quel dommage de passer à côté du chrysanthème qui est si beau sous tellement de formes !

Cependant, il est intéressant de noter une tendance entre ces deux fleurs : le cerisier est plus présent sur des supports modernes, et le chrysanthème l’est plutôt dans les arts traditionnels. J’approfondirai plus ce point dans un aparté au pied de cet article, mais une possible explication de cette différence est due à la réputation du chrysanthème qui a décliné durant le siècle précédent. Pour faire court, certains artistes contemporains ne sont pas vraiment à l’aise à illustrer ce symbole pour des raisons diverses, et j’en fais partie. Bien que j’apprécie retravailler des kimonos décorés avec cet emblème, je n’ai pas eu le courage de développer la référence « Kiku – chrysanthème » pour ma collection « Hanabira » qui rend hommage aux fleurs. Travailler avec des chrysanthèmes faits par d’autres ? Oui. Créer mon chrysanthème à moi ? Non.

En effet, nombreux se questionnent si le chrysanthème ne serait pas un symbole de mauvais augure. Il s’agît en fait d’un point commun entre le Japon et l’occident car dans nos deux cultures, les chrysanthèmes sont très représentatifs des funérailles. Et pourtant, il n’était pas coutume que cette fleur soit présente durant les obsèques au pays du soleil levant, et c’est au 20ème siècle que cette tendance semble s’être exportée depuis la France. Résultat, il est tout naturel que nous soyons tentés d’associer cette fleur au deuil. Mais si on regarde l’envers de cette décoration florale, la raison n’est pas aussi funeste qu’on puisse le penser.

Avant toute chose, le chrysanthème n’est pas une plante aborigène au Japon, et il a été introduit depuis la Chine durant la période Nara au 8ème siècle. Dans la culture du pays voisin, le chrysanthème fait partie des quatre gentlemen avec le bambou, prunier et orchidée. Ces plantes représentent les vertus de la morale confucéenne comme l’adversité, la tempérance, ou l’intégrité, et ils furent un sujet très prisé dans l’art de l’époque.

Une autre introduction qui s’est faite à la même période depuis la culture chinoise, ce sont les festivités du Go-sekku. Ces derniers représentent les fêtes saisonnières qui ont lieu aux dates où les chiffres impairs se répètent comme le 1er janvier, 3 mars, 5 mai, 7 juillet et le 9 septembre.  Cette occurrence s’explique par la philosophie numérologique chinoise qui associait ces nombres à certains présages qui pouvaient être bon ou mauvais. Et c’est pourquoi des rituels se pratiquant chez soi à l’abri des calamités extérieurs ont été instaurés en Chine, et ensuite au Japon. Même si les rituels vont varier plus tard entre les deux pays, le 9 septembre représente le Sekku du chrysanthème où il était coutume de consommer des spécialités concoctant la fleur en question. Que ce soit de l’eau infusée, de l’alcool fermenté, ou encore en condiment, le choix est vaste quand la plante est comestible.

Et pourquoi le chrysanthème a-t-elle cette place honorable à cette date ? Premièrement, sa floraison emblématique tombait sur le 9ème mois du calendrier de l’époque, au point où il s’intitulait « le mois du chrysanthème ». Deuxièmement, nombreuses légendes disent que cette fleur octroie une longue vie en bonne santé, et c’est l’une des raisons pour laquelle il était utilisé dans la médecine. Troisièmement, par son association avec cette cérémonie, la croyance comme quoi elle chasserait le mal s’est établi.

Revenons maintenant sur son rôle durant les funérailles au Japon. On comprend enfin que cela faisait du sens qu’un tel symbole y trouve sa place. En somme, sa fonction n’est pas de symboliser la mort ou la tristesse, mais de protéger les convives des « mauvaises choses » durant cet événement. Parce qu’il faut le souligner, la frontière entre les vivants et les défunts devient assez sensible quand il s’agît de rendre les derniers hommages. De plus, en symbolisant une santé au top et une belle espérance de vie, le décor est aussi là pour rassurer les invités comme quoi ils n’auront pas à se retrouver trop tôt pour enterrer à nouveau un des leurs. Donc, il est cruel d’associer une si mauvaise réputation au chrysanthème, dire qu’il ne fait que rendre service.

D’ailleurs, si son aura était si négative, la famille impériale ne se serait pas risquée à l’avoir comme sceau. Bien qu’il ait parfois changé de forme, cet emblème a été instauré à l’époque Kamakura (1185 -1333) par l’empereur Gotoba qui appréciait particulièrement cette fleur. Alors oui ! On serait presque tentés de dissocier le chrysanthème de la famille impériale et ceux des funérailles, car ce sont des éléments qui n’appartiennent pas au même courant spirituel. D’un côté, les obsèques sont pratiquées selon les rites de la religion bouddhiste. Et de l’autre, l’empereur est le descendant de la déesse du soleil Amaterasu, grande figure du shintoïsme.

Malheureusement, même si j’ai tenté tant bien que mal de m’éloigner des thèmes funestes, c’est ce shintoïsme qui va me replonger dedans avec la mystérieuse déesse des chrysanthèmes, « Kukuri-hime ». Cette dernière n’est mentionnée que brièvement dans l’un des deux livres sacrés : le Nihon-shoki, et pas le Kojiki. Vers le début du récit, il est conté que la déeese Izanami et le dieu Izanagi ont créé le territoire japonais. Malheureusement, Izanami dut partir subitement vers l’outre monde après s’être mortellement brulée en donnant naissance à une divinité de feu. Peu après cette séparation, le couple se retrouvera encore une fois pour négocier le nombre de naissance et décès dans le pays qu’ils ont créé ensemble. C’est à cet instant que Kukuri-hime fit son apparition et joua le rôle de médiatrice entre les deux partis. Pour faire bref, cela se résume à une version plus complexe d’un divorce au tribunal face à un juge. Après que le verdict fut accepté entre les divinités présents, Kukuri-hime sera vue comme séparation entre les deux mondes : les vivants et les autres.

Cela n’est qu’une interprétation personnelle : si l’empereur est vu par son sang divin comme une figure au-dessus des mortels, cela peut faire du sens qu’il souhaite garder le chrysanthème et sa déesse auprès de lui. D’un autre côté, une autre théorie dit aussi que la fleur symbolise par sa forme, le soleil … qui est une représentation d’une autre déesse. Comme très souvent, il serait plus sain de laisser notre curiosité de côté. Car il est bien trop chronophage de percer les mystères de la culture shintoïste. Et concluons juste qu’un empereur a opté pour cet insigne parce qu’il l’aimait bien. Ce sera plus simple ainsi.

En conclusion, même s’il m’est arrivé de trouver cette réputation assez récente du chrysanthème regrettable, on peut l’apprécier tel qu’il est. De mon point de vue, plus un symbole devient emblématique avec un sens positif, plus il rappellera aussitôt son opposé. Quand on y réfléchit bien, on n’en fait pas toute une histoire avec les Sakuras qui représentent mélancoliquement la beauté éphémère de la vie humaine. Pour terminer sur une note plus légère, n’accueillions pas le message de ces fleurs comme un avertissement de la destination, mais une invitation à fleurir sur le reste du voyage.

 

Le chrysanthème dans l’univers du kimono et mon travail :

 

On voit finalement que j’apprécie grandement le chrysanthème et son symbolisme, et cela pourrait faire du sens que ma collection « Hanabira » propose la référence « Kiku – Chrysanthème ». Mais j’ai préféré me restreindre, non pas parce qu’il est associé à tort aux funérailles, mais parce qu’il émane quelque chose de beaucoup trop majestueux pour mes petites mains. Suite en passant, c’est la même raison pour laquelle je ne développe pas la référence « Hasu – Lotus » associée au bouddhisme pour cette dite collection. Pour résumer, ce sont des fleurs qui ont la lourde responsabilité de représenter deux grandes religions. Si je calque mon ressenti sur d’autres cultures, ce serait comme jouer avec la croix chrétienne pour des fins commerciaux. Certains le font avec aisance et dextérité, et ils ont toute mon admiration et respect. Après tout, chaque créateur doit proposer ce qu’il pense faire de mieux avec son cheminement qui lui est propre. Et j’ai simplement conclu que ce genre de produits ne sera pas représentatif de ma sensibilité personnelle.

Mais avant qu’on vienne me taper dessus avec mes créations faites en kimonos ornés de chrysanthèmes, laissez-moi vite m’expliquer. J’ai mentionné plus haut que le chrysanthème s’impose notamment dans les arts traditionnels. Cela signifie sûrement que les artisans de ces domaines avaient une approche différente de la mienne. Pour y voir plus claire, il nous faut nous pencher sur les lignes très établies des règles d’habillement d’antan qui persistent encore aujourd’hui.

C’est depuis plus de 1000 ans, durant la période Heian, qu’il est devenu coutume dans la culture japonaise de célébrer le moment présent en rendant hommage à ce que la nature nous offre. Ainsi, nous portions des vêtements avec des motifs qui agrémentaient certaines fleurs en pleine floraison. Ou encore, certains arbres lorsqu’ils étaient au plus verts. Tout naturellement, ce fut en automne et plus précisément aux alentours de ce fameux neuvième mois du chrysanthème que les robes ornées de multiples pétales furent très privilégiées. Cette affection ne se limitait pas seulement à l’univers de l’art vestimentaire, mais aussi à la décoration de chambre ou d’autres objets comme ceux qui ornaient les tables.

En ayant enfin abordé cette tendance millénaire, on comprend mieux pourquoi le chrysanthème fut plus présent dans les arts traditionnels que la fleur de cerisier. (Elle se serait souvent invitée celle-là.) Contrairement aux variétés de chrysanthèmes qui permettaient d’être admirés longuement pendant une période assez longue, les cerisiers sont fameux pour avoir cette majestueuse, mais triste, floraison de seulement deux semaines. Pour faire simple, posséder un vêtement ou des ustensiles représentant des pétales roses rimait avec un investissement beaucoup trop luxueux.

Et pourtant, sauf si notre objectif est de les admirer en pleine éclosion, il n’est pas primordial de voyager au Japon en automne pour admirer des chrysanthèmes (ou au printemps pour les cerisiers). Si on peut se contenter de les contempler illustrés, ils sont présents tout au long de l’année. Dans les règles de l’habillement du kimono par exemple, les fleurs considérées comme emblèmes nationaux sont sorties des lignes strictes qui ne permettaient de s’en vêtir que durant leurs saisons respectives. D’autant plus si elles sont accompagnées de plantes d’autres saisons. D’ailleurs, bien qu’il ne représente pas la combinaison la plus courante, il existe bel et bien un style de motif qui harmonise le chrysanthème et le cerisier ensemble. En revanche, avant que je ne vous pousse à commettre une gaffe vestimentaire, si ces fleurs sont accompagnées de leurs branches, leurs usages devient exclusifs à leurs périodes de floraison.

Donc oui, les artisans textiles incorporant les chrysanthèmes un à un dans leurs créations le font pour rendre hommage à cette histoire millénaire. Et je me sens grandement honorée d’offrir un chapitre nouveau à ces textiles élaborés avec patience et amour. Mais encore, quand je songe à créer une référence de bijou rendant directement hommage au chrysanthème en dehors de ce passé artisanal, je me sens comme dissociée. Heureusement, même si je n’oserai dire que leurs auras soient plus récréatives, il y a tant de fleurs avec lesquels je me suis sentie à l’aise de jouer. Finalement, le confort doit être un aspect primordial d’un accessoire réussi que ce soit pour l’élaborer ou s’en parer. Et je suis béate face à mon choix de ne pas avoir créé certaines références qui auront probablement été trop lourdes à porter.

 

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