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Le dit du Genji

Dès le moment où j’ai souhaité nommer mes créations après les figures féminines de l’histoire du Japon, c’est comme si j’avais scellé mon destin avec « le Dit du Genji ». Grand patrimoine de la littérature japonaise rédigé au 11ème siècle par Murasaki Shikibu, j’appréhendais ce roman comme tant d’autres grands classiques. En résumé, je ne m’étais jamais penchée dessus car j’étais convaincue que je n’allais rien y capter… Et j’avais bien raison ! Malgré quelques collections inspirées de cet œuvre qui figurent déjà sur l’e-boutique, je suis encore là à me demander si j’ai vraiment bien saisi l’intrigue. Cela signifie-t-il que je n’ai pas apprécié « Le dit du Genji » ?  Aussi étonnant que cela puisse sembler, j’en suis bien au contraire devenue une grande fanatique.

Mais de quoi s’agît-il? C’est une fiction de 56 chapitres dont la mise en scène prend forme dans la cour du palais impérial durant l’époque Heian (entre 794 et 1185). Le héros de ce récit, qui n’est nul autre que le Genji lui-même, est un noble fils d’empereur ne pouvant prétendre au trône en raison de l’ordre de succession. Que cela soit ses aventures avec d’innombrables* femmes ou de sa rivalité avec d’autres gentilshommes, le tout est rédigé d’une manière à ce que l’accent soit mis sur le ressenti des protagonistes. Avant même qu’on s’en rend compte, on sera absorbé dans un torrent de passions flamboyantes qui nous fera dire que l’humain n’a finalement pas beaucoup changé en 1000 ans.

*On pourrait penser que je juge les mœurs du Genji concernant le nombre de femmes qu’il a conquis, mais c’est plutôt pour prétendre que la lecture s’en trouverait nettement facilitée s’il avait été un peu plus monogame.

De plus, le romantisme plus que charmant de la période Heian amplifie l’aspect sentimental de cette expérience littéraire. Par exemple, on communiquait en rédigeant des poèmes (Waka) qu’on confiait à des serviteurs qui les livraient à une autre partie de la cour. En ce qui s’agît des rencontres, ils se faisaient aussi de manière détournée avec un paravent qui sépare les interlocuteurs. Et si l’environnement ne permettait pas l’installation d’une séparation, il était coutume de cacher son visage derrière un éventail. Tant d’efforts à cette époque, car il était considéré comme inadéquat de dévoiler ses sentiments ou son visage de manière trop directe. Malgré nos coutumes contemporaines rendues moins mystérieuse à cause de Whatsapp et Tinder, nombreux lecteurs frémiront en lisant une scène où le Genji balaie un paravent en hurlant « Chère Dame, je ne puis résister au désir de vous découvrir! ».

Pour faire simple, comme les poèmes à déchiffrer qui apparaissent dans ce roman, la lecture de ce récit sera une expérience ambigüe jusqu’au bout. Bien que le manuscrit original semble perdu à jamais, on peut facilement trouver des traductions ou des adaptations chez le libraire du coin. Mais peu importe la version qu’on possède, on aura l’impression que l’écrivaine Murasaki nous raconte cette histoire à travers un paravent sans que nous soyons sûrs de bien l’entendre. Cependant, ce qui fait aussi la beauté du «Dit du Genji », c’est aussi cette liberté de pouvoir l’interpréter comme on le souhaite et se forger notre propre opinion dessus. Comme les traditions envoûtantes de ces temps révolus, c’est l’aura énigmatique émanant de cet œuvre qui a su séduire ses lecteurs à travers un millénaire tout entier. Et il en sera sûrement de même à l’avenir.