Mais de quel augure est-ce que j’ose aborder ce kimono en dépit de sa réputation funeste ? Se traduisant littéralement par « Noir avec armoiries », le kuromontsuki se reconnait par sa noirceur uniforme et ses 5 armoiries blanches (Un sur la nuque, deux derrière les manches, et deux sur le buste). Surnommé trop souvent Kuromofuku (habit de deuil), j’ai souhaité en faire un sujet afin de justement lui enlever cette image macabre. Curieusement, c’est la variante féminine qui en est victime, dire que la version masculine a une fonction plus versatile en tant que « simple » habit de haute formalité.
Si on ouvre scrupuleusement les cahiers qui dictent les coutumes autour de l’habillement traditionnel, on remarquera finalement que le Kuromontsuki féminin a des règles très similaire au Kuromontsuki masculin. Par son manque d’ornement comme des dessins ou des motifs, il est vu comme un habit formel de grande classe, orné d’une touche de modestie. Tant que nous sommes encore dans le sujet des dogmes autour de l’habillement, il suffit de comprendre que le Kuromontsuki devient un habit de deuil quand il est assorti avec une ceinture de couleur noire unie. S’il est, en revanche, accompagné d’une ceinture cérémoniale colorée, il devient un beau vêtement convenant à de nombreuses occasions formelles. Cela se vaut surtout si vous êtes un invité sans statut particulier, qui ne souhaite pas trop se mettre en avant, comme par exemple, un photographe à un mariage. Mais encore, il peut être porté par une professeure d’art traditionnel qui souhaiterait se mettre en recul par rapport à ses élèves lors d’une démonstration.
Au début du 20ème siècle, ce kimono était vu comme un investissement réfléchi et facile à rentabiliser grâce à sa polyvalence. De plus, n’étant pas orné de broderies ou autres décors artisanaux, son prix était bien plus intéressant ! Il suffit de regarder des archives de photos de cette époque pour voir des mariages auxquelles nombreuses convives portaient des Kuromontsukis. En notre époque contemporaine où nous privilégions un glamour plus voyant, il serait peut-être dommage de porter une robe si terne, mais un bon connaisseur n’aura rien à vous redire si vous vous habillez de la sorte. Cependant, des personnes loin de maîtriser le sujet risquent de vous juger par culture, ou plutôt, par ignorance collective.
Mais d’où lui vient cette injuste association ? Avant tout, les règles d’habillement autour du deuil ont énormément varié dans l’histoire japonaise, et ils penchaient principalement entre le noir ou le blanc jusqu’au début du siècle précédent. C’est à cette époque cruciale, durant laquelle le Japon commençait à s’occidentaliser, que le noir va prendre le dessus.
En premier, il y a les relations diplomatiques avec des pays occidentaux chez qui le noir représentait déjà la norme. Le Japon, souhaitant faire preuve d’adaptabilité, suggérera cette couleur lors des obsèques de personnes officielles afin de ne pas choquer les invités étrangers.
En deuxième, il y a les échoppes de location de kimono. Loin d’être un concept établi récemment dans le but de satisfaire des touristes dans les quartiers populaires, ces négoces existaient déjà pour satisfaire une clientèle locale réticente à posséder trop d’objets. Culture qui s’explique principalement par la peur de perdre ses valeurs dans les catastrophes naturelles, et qui contribuait au succès de ces négoces. On pouvait y dénicher tant des kimonos blancs que noirs, mais les locataires craignaient souvent l’emprunt d’une pièce claire à cause de la possibilité de les tâcher définitivement. Un drame qui pouvait valoir une amende au retour de la pièce.
Maintenant que les avantages du noir sur le blanc ont été soulevés, pourquoi le kuromontsuki est-il devenu moins populaire malgré tout ? Durant la deuxième guerre mondiale, période empirée par la crise économique et la famine, la possession de biens luxueux était mal vue. Voire interdite. Paradoxalement, cette période se chevauche avec une occidentalisation accélérée du Japon. Depuis cette époque tumultueuse qui a condamné le kimono à devenir l’habit des grandes occasions, on appréciera se vêtir de robes colorées pour le peu d’occasion qui se présentent. Après cette mutation, le kuromontsuki ne sera plus le vêtement recyclé à tout va, mais plutôt l’habit dont on se « réjouit » de porter pour dire adieu.
Sur un ton plus joyeux, grâce au regain d’intérêt pour l’habillement traditionnel au pays, des fans tentent coûte que coûte de remettre cette humble pièce au-devant de la scène. Malgré la rigidité des mœurs, de jeunes influenceuses semblent créer un courant nouveau en accueillant ce kimono comme un simple vêtement parmi d’autres. Par exemple, en se parant d’un Kuromontsuki avec un corset ou bottines en cuir. Par cette créativité, on lui redonne un rôle plus polyvalent, voire artistique. Les plus courageuses d’entre elles défieront le regard des autres en s’en habillant formellement à une cérémonie. Et j’espère que leur courage remettra à l’ordre du jour, les connaissances autour de cet habit si incompris.
Bien que je serais ravie de voir le Kuromontsuki reprendre sa place de « robe qui dépanne à toute occasion », et non « la robe de funérailles », ces silencieux changements me permettent de patienter momentanément. D’un côté, nous avons un vêtement dont sa notion a évolué dans la conscience collective pour devenir un habit de fonction lors des enterrements. Et de l’autre, il est en train de devenir un habit qui aime être revisité dans la liberté vestimentaire d’aujourd’hui. En conclusion, il n’est qu’une question de temps pour que ce kimono noir retrouve son rôle d’antan qui se trouve entre ces deux mondes.
Et n’oublions pas le fait le plus rassurant : Un vêtement en évolution constante, est la preuve même qu’il est encore vivant.