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Les odeurs au Japon

Grâce à la bienveillance professionnelle de mon collaborateur « Lueur des sens », j’ai enfin pu accomplir un ancien souhait qui était de développer des bougies aux senteurs japonaises. Avec tous les retours et réactions qui ont suivi, je suis actuellement sur un petit nuage où j’ai le sentiment d’être au stade du rêve éveillé plutôt que du vœu exaucé. Parmi ces échanges, certains m’ont fait part de souvenirs d’odeurs qui ont été précieusement gardés d’un séjour au pays du soleil levant. Cela me passionne de penser à un nouveau moyen qui permettrait à divers personnes de s’approcher du Japon qu’ils aiment, mais il en est tout aussi émouvant quand on me fait découvrir ce pays tel qu’il s’est révélé à autrui.

Pour revenir aux fragrances, il est vrai que la mémoire en lien avec notre sens olfactif est particulièrement puissante. Comme par magie, il suffit parfois d’un seul parfum pour qu’on finisse ailleurs dans l’espace ou dans le temps. Il en va de même pour le contraire où on se remémore un souvenir, et c’est souvent de l’odeur dont on se souvient le plus nettement. Bien que je ne sois pas armée du « nez » ou du vocabulaire approprié comme mon partenaire avec qui j’ai développé les bougies,  il serait contre mes principes de ne pas tenter le tout pour le tout en rédigeant sur ce sujet.

Sans plus tarder, voici une petite liste d’odeurs provenant des pépites qui m’ont été confiées ainsi que des bribes de mon expérience personnelle:

 

L’encens dans les temples bouddhistes:

Sans aucun doute, l’encens est très présent au Japon au point où il y a même un art autour de ces bâtonnets qui s’appelle « le Kôdo – 香道». Néanmoins, si cet objet est encore très important dans la vie des japonais, c’est sûrement grâce aux rituels bouddhiques qui ponctuent encore leur quotidien. D’ailleurs, il suffit juste d’imaginer un de ces temples pour que ce parfum avec une note de santal vienne nous chatouiller le nez. A l’entrée du temple Sensô-ji dans le quartier d’Asakusa à Tokyo pour ne citer qu’un exemple, un grand jokoro (brasero) libère une large fumée aromatisée vers l’entrée. Ce nuage d’encens est réputé purifiante pour le corps ainsi que l’esprit, et c’est pourquoi on peut voir des visiteurs s’en immerger quand ils sont de passage dans ce sanctuaire de renom.

La brume de l’autocuiseur de riz :

Bien que je sois équipée d’un rice-cooker dans ma cuisine, quand une personne m’a confié que l’odeur du riz dans les restaurants self-service le rende nostalgique, je n’ai éprouvé que de l’empathie. Contrairement à mon ustensile qui ne peut contenir que 5 tasses de grains, le parfum qui s’échappe de ces machines avec une contenance d’au moins trois-fois supérieure à la mienne est tout simplement d’un niveau au-dessus.  A l’un de mes précédents voyages où j’ai dû opter pour un business-hôtel proche de l’aéroport pour ma première nuitée, je payai aussi un supplément au petit matin pour accéder au petit-déjeuner. (En bref, ce fut un tout où  je me suis juré de ne plus jamais atterrir au Japon à deux heures du matin). Comme tout honorable touriste, je me suis retrouvée à hésiter entre un repas japonais ou occidentale face au comptoir self-service. Mais quand un autre client plus décidé que moi ouvra l’autocuiseur de riz, je jetai enfin mon dévolu en sentant cette vapeur qui me rappela que si j’ai dû me coltiner 15 heures de voyage, ce n’est sûrement pas pour bouffer du pain.

Le sucré-salé dans les galeries marchandes (Shotengai):

Quel est ce bruit ? Le cri des marchands qui hurle leurs remises, des bruits répétitifs d’outils ou de machines provenant de certaines arcades, ou bien encore les derniers hits de J-pop qui s’échappent des sonos de magasins avoisinants ? Mais il s’agît bien d’une galerie marchande typique! Et que serait ce dernier sans leurs artisans du goût transpirant aux fourneaux et cette émanation de sucré-salé qui se promène dans les environs? Que ce soit les dangos ou yakitori sur broches roulant sur le feu, les melon-pans ou ningyo-yakis libérés de leurs fours et dorés à la perfection, ou des takoyakis ou yakisoba se faisant badigeonner de sauce pour une délicieuse finition… Si on veut décrire toute cette grande équipe gastronomique qui agrémente les alentours par leurs séduisantes odeurs, il est fort probable que je puisse découvrir s’il y a une limite de mots dans la configuration de ce blog ou non.

La paille du tatami :

Revêtement de sol traditionnel des chambres aménagées à la japonaise, le tatami est constitué de nattes fabriquées avec de la paille de riz qui a un parfum assez unique. Sur un mat neuf, les tiges sont encore vertes et l’odeur peut sembler presque trop forte, mais les deux s’atténuent au fil du temps. Heureusement, même si le tout s’adoucit au fur et à mesure, il est rassurant d’encore pouvoir sentir cet objet quand on s’allonge dessus. Un court instant où on joue à caresser du bout des doigts le sens de la paille, et nous voilà prisonnier du sol avant même qu’on ne s’en rend compte. Se lever pour faire une autre activité ou aller se promener? C’est vraiment dommage, mais Morphée a probablement d’autres plans en tête.

Le soufre qui empeste les onsens (bains thermaux) :

Une petite virée dans un village reculée en montagne pour expérimenter les onsens serait certainement le summum de l’expérience du bien-être à la japonaise. Pourtant, certaines de ces destinations peuvent nous prendre au dépourvu par cet effluve sentant l’œuf pourri. Car oui, parmi la grande variété de bains thermaux qui nous est offerte par les conditions géologique du pays, certains sont au soufre. Aussitôt arrivé dans un hameau connu pour ce type de bains, il peut être drôle de voir des couples en voyage de noce s’observer avec un regard accusateur. A nouveau, le seul coupable dans l’histoire est mère-nature qui nous bénit de son doux gaz qui, aussi étrange que cela puisse sembler, devient presque agréable à la longue. D’ailleurs, nombreux ont aussi témoigné de cette odeur particulière qui peut soudainement nous piquer le nez dans les grandes villes. Quoi qu’il en soit, même si je compte élargir ma gamme de bougies à l’avenir, je ne me pencherai sûrement pas sur ce parfum-là.

Les souvenirs entre les fibres du kimono :

Catégorie plus personnelle, mais à laquelle je suis trop attachée pour ne pas la mentionner. Les personnes ayant porté un kimono au Japon ou ayant visité un magasin en lien avec ce vêtement reconnaîtra probablement l’odeur qui s’échappe de mes placards dans mon atelier. En effet, la soie qui compose ce vêtement étant alléchante pour les mythes, elle peut recevoir un traitement dans le but d’éloigner cet indésirable. Les pièces plus anciennes ont probablement été traitées à la naphtaline avant que celui-ci ne devienne impopulaire en raison de sa forte toxicité. En ce qui concerne les modèles plus récents, ils sont aseptisé avec des méthodes plus douces ou même naturelles comme du thé vert ou de l’extrait de camphrier. De plus, il ne faut pas oublier qu’un kimono peut «moisir» quand il est mal-aéré et cela ajoute aussi un arôme particulier. Dans tous les cas, il faut toute une discipline pour maîtriser l’état du kimono ainsi que l’odeur unique qui s’en dégage.

Quand je disais que les fragrances peuvent faire voyager quelqu’un dans le temps ou dans l’espace, j’ai tout de suite pensé à un épisode récent. Un beau jour où je vivais encore chez mes parents, j’ai eu la joie de réceptionner plusieurs colis remplis de kimonos que j’avais confiés à la poste au Japon. En déballant le tout au salon dans le but de classifier mes nouveaux-arrivés, mon frère sortit de sa chambre pour voir pourquoi je faisais tout un vacarme. Probablement choqué par le salon devenu méconnaissable en raison des vêtements dépliés par ci et par là, il m’observa un moment sans rien dire. Malgré mon état concentré à ordonner mon inventaire, j’eus un court moment d’inattention quand il lâcha subitement un « C’est la même odeur que dans la chambre de grand-maman.».